Julie FORTIN

LITTÉRATURE


Entre une vie familiale bien remplie et un travail en cardiologie comme technicienne en échographie, à 40 ans, Julie Fortin décidait de retourner aux études, par plaisir.

Elle s'inscrit en Sciences Sociales à l'Université Laval, où elle complète un baccalauréat Multidisciplinaire. Les nombreux travaux écrits qu'elle doit fournir pour obtenir son diplôme, lui laissent entrevoir le bonheur qu'elle aurait à écrire pour des fins autres qu'académiques. Au printemps 2005, elle prend sa retraite.

Informée de l'existence du concours " Auteurs recherchés ", elle voit là l'occasion de souligner sa nouvelle vie de retraitée et produit son premier texte à des fins purement littéraires cette fois. À sa deuxième participation, son texte " Mon premier show ", inspiré des expériences de sa fille cadette, est retenu pour publication.

À 56 ans au début d'une retraite bien méritée, elle désire s'accorder le temps qu'il faut afin de réaliser un de ses rêves les plus doux : écrire. Ce n'est pas une nouvelle carrière qui s'amorce, mais un passe-temps oh combien exaltant !

 

Mon premier show de Julie Fortin

Ce texte a paru dans le recueil "Des nouvelles de Limoilou" dans le cadre du concours " des auteurs recherchés 2006 ", aux Éditions Botakap

Je suis tellement énervée ! Imagine, c'est mon premier show, dans un vrai bar !
J'ai des papillons dans l'estomac, les jambes molles. Mon cœur bat si fort, que j'ai l'impression que tout Limoilou l'entend se débattre. Mes doigts, qui théoriquement devront bientôt se placer de manière précise sur ma guitare, sont à mille lieux de toute discipline et tremblent de façon désordonnée. Je suis à un cheveu de perdre le contrôle.

Pourtant je connais mes tounes par cœur, puisque je les ai moi-même composées. N'empêche, j'ai un trac fou. Il parait que c'est normal. Mais c'est assez déstabilisant.

Là, à quelques minutes de début du show, je me demande ce que je suis venue faire ici et j'ai soudain envie de me sauver par la porte de derrière. Une chance, la présence et la bonne humeur de mes amis du CEGEP me donnent l'énergie qui me permet de tenir le coup. Je ne veux pas les décevoir.

De toute façon, pour moi la vie sans musique ne vaudrait pas la peine d'être vécue. Une journée sans guitare et je suis en manque. C'est un besoin vital et actuellement ma raison de vivre. Mais voyons, je ne suis pas là pour philosopher mais plutôt pour "casser la baraque" comme dit monsieur Jinchereau : le propriétaire du bar Le Bal du Lézard.

Pour l'engagement…? Ce ne fût pas très compliqué. Un soir, je suis arrêtée prendre une bière avec des amis. L'endroit m'a tout de suite allumée: petit, chaleureux , sympathique. Je remarque la scène minuscule tout au fond, à gauche. Ce serait ma chance de jouer ici pour commencer ! J'en glisse un mot à la serveuse. Elle me suggère de rencontrer le grand patron : l'homme aux cheveux gris derrière le bar. Je termine ma bière d'une seule gorgée dans l'espoir d'avoir un peu d'aplomb et je viens offrir mes services à M. Jinchereau.
Sa façon de me répondre me laisse entendre qu'il me prend pour une prostituée : "C'é pas q'tu sois pas mignonne ma p'tite, mais moi vois-tu, j'suis fidèle à la même depuis plus de vingt ans et cé pas d'main la veille que j'va commencer à lui jouer dans l'dos."

À mon éclat de rire , il réalise sa méprise et s'excuse. Après quelques discussions, il me propose de jouer jeudi prochain et m'offre comme cachet : trois consommations gratuites plus le total des recettes à l'entrée: deux dollars par personne. " Plus y'aura d'monde, plus tu f'ras la passe ma p'tite" enchaîne-t-il , en me faisant un clin d'œil. Je jubile!

Tu parles si je suis prête! Heureusement je suis arrivée tôt. J'ai pris mon temps pour tout brancher, tout vérifier, faire mes tests de son, établir mon plan de show : commencer avec ma pièce la plus rythmée pour donner le ton ou plutôt y aller progressivement ? J'y réfléchis... Je me suis même payée le luxe de cordes neuves. J'ai choisi des Savarez pour ma guitare sèche. Elles sont un peu plus dispendieuses, mais projettent davantage que d'autres marques bas de gamme. Pour ma guitare électrique, j'ai opté pour les Dadario qui offrent un bonne tension. J'ai amplement le temps de les battre avant le début du show.
Je n'aimerais pas commencer à jouer en retard, ce qui me mettrait à finir trop tard. On ne sait jamais, je peux aussi bien avoir un rappel. Puis, le temps de tout démonter en sirotant mes trois bières, de laisser retomber l'adrénaline en fumant un p'tit joint avec mes amis, je ne serai jamais couchée avant trois ou quatre heures du matin. Et demain, juste pour mal faire, j'ai deux examens. Pas question de les couler.

Les gens commencent à arriver. Une clientèle hétéroclite parmi laquelle on reconnaît les habitués, appuyés au bar et généralement plus âgés . Les nouveaux, venus juste pour le show et qui tentent de se trouver une place près de la scène. Puis mes amis, de plus en plus bruyants, qui occupent déjà les meilleures places. Pourvu qu'ils ne se fassent pas sortir. C'est l'heure. Je fais un signe au technicien du son qui interrompt la musique disco et dirige le petit spot sur moi.

Dès les premières mesures, les rumeurs de la salle s'estompent. Ma mélodie prend toute la place et la magie s'installe… Je ferme les yeux. Au rythme de mes accords, je plane. Soudain, au beau milieu de ma première toune, je sens que quelque chose ne va plus. Une lumière vive me force à ouvrir les yeux. C'est bizarre un bar le soir sous les lumières crues des néons. Tous les visages sont tournés vers la porte. Des gens qui ne sont pas du tout dans le party bloquent les sorties et crient : " Descente! Police !"

Hostie! Je n'ai pas dix-huit ans et ma gang non plus.

En moins d'une heure, nous nous retrouvons tous au poste pour un contrôle d'identité. Dire que, pour avoir l'âge réglementaire, j'ai emprunté avec la plus complète insouciance, la carte d'identité de ma sœur aînée…Çà passait avec M. Jinchereau, mais pas avec les autorités policières…!

J'ai vieilli de deux ans maintenant.

Et avec succès, j'ai refait Le Bal du Lézard. Pourtant à chaque fois, au milieu de la première toune, j'ai toujours un petit pincement au cœur et un bref coup d'œil vers la porte d'entrée…

Alors seulement, je peux fermer les yeux. Et laisser la magie s'installer à nouveau…

Julie Fortin

 

 

 

Le Conseil des artistes québécois est un organisme à but non lucratif et non gouvernemental. La mission du Conseil est de développer auprès de la population le goût des arts. En même temps, le Conseil aide les artistes à se faire connaître et à vendre leurs oeuvres. Plusieurs oeuvres sur ce site peuvent être acquises.

Si vous désirez adhérer à la mission du Conseil, appuyer ici.

Contact:
Jennifer Barker
Développement
Conseil des artistes québécois
514-347-6910
info@conseildesarts.org

Par souci d'écologie, utilisez l'adresse postale qu'en dernier ressort.

TOUS LES ARTISTES

RETOUR A LA PAGE D'ACCUEIL